Interview avec l’artiste Shintarō Ninomiya : là où l’eau et le feu se rencontrent.
La brume d’été avait enveloppé Paris, lorsque j’ai interviewé Shintarō Ninomiya. C’est un artiste japonais, qui vit actuellement à Ōsaka. La première fois que je l’ai rencontré, c’était lors de son exposition à l’Achronique Association Art&Philosophie, une galerie d’art à Paris, dans le 18e arrondissement en 2018. Les peintures exposées étaient vraiment intéressantes, et les gens rencontrés étaient merveilleux, ce qui a rendu ce moment vraiment paisible.
J’ai toute de suite compris que l’art de Shintarō Ninomiya requiert beaucoup d’imagination. Il imagine la nature. Ce n’est pas un hasard si dans ses peintures, on y retrouve des fleurs, des animaux, et des représentations de phénomènes climatiques tels que la pluie et le soleil. Voyageur passionné, le voyage devient source de nouvelles idées et de nouveaux éléments, afin de réaliser ses nouveaux tableaux. De plus, lorsqu’il interagit avec des personnes et des clients, il trouve dans la communication des mots et des idées, afin de peindre un nouvel art.
Chaque tableau exprime un aspect particulier de la vie de Ninomiya, car chaque tableau est une méthode et une création sortie de son esprit. Ses peintures changent ainsi, en fonction du lieu et du public. Par exemple, dans la dernière pièce qu’il nous a envoyé, une femme nous montre une scène de danse japonaise traditionnelle. Fusionner des coutumes anciennes avec son art est, pour lui, synonyme d’innovation des traditions.
Êtes-vous prêts de vous immerger dans son univers ? Prenez une tasse de thé, ainsi que quelques biscuits et mettez-vous à l’aise pour cette plongé dans son quotidien.
© Shintarō Ninomiya – Jitsukawa Fu, Japanese traditional dancer
Q : D’où venez-vous, Monsieur Ninomiya ?
R : Je suis né à Ōsaka, mais je voyage au long et au large du Japon depuis mon adolescence.
Q : Qu’est-ce qui vous a mené à la peinture ?
R : J’aime dessiner depuis mon enfance. À 17 ans, j’avais le sentiment que l’art incarnait les concepts de « liberté » et d’« unicité », qui était pour moi, une sorte d’exutoire vers un « salut » et un « espoir ». Cela n’a pas changé jusqu’aujourd’hui.
Q : Quand avez-vous peint pour la première fois ? Quelle méthode utilisiez-vous ?
R : J’ai commencé à peindre quand j’étais enfant. J’aimais imaginer et dessiner des sujets qui vont au-delà de la réalité. Depuis l’âge de 17 ans, je peins avec mes pieds et mes mains nues, en utilisant des couteaux et du feu. Je représente la nature, le temps, l’alcool, et j’emploie la cire, les plantes et les fleurs en tant que matériaux. Les voyages et toutes sortes d’expériences sont primordiales dans ma peinture.
Q : Pourquoi choisissez-vous des matériaux différents ? Comment les choisissez-vous ?
R : J’aime essayer. J’expérimente et j’essaie de nouvelles choses. Outre les fleurs, j’ai commencé à utiliser l’eau. Par exemple, comme source d’inspiration, j’utilise la pluie, mais également les rayons de soleil. Pour ne pas perdre l’authenticité de ma nature, j’ai commencé à utiliser le feu comme pinceau.
© Shintarō Ninomiya – Jitsukawa Fu Japanese traditional dancer
Q : Au cours des voyages que vous avez effectués, quel genre de voyages avez-vous imaginé ?
R : J’imagine le voyage comme une expérience. Quand je voyage, j’aime énormément rencontrer des nouvelles personnes, et découvrir des nouveaux endroits. Par exemple, lorsque je vais à la mer, ou dans toutes sortes d’endroits, j’absorbe tout type de nouveau paysage et culture. Je suis allé à Fukushima, après la triple catastrophe, et j’ai entendu les récits des gens, ce qui m’a permis d’avancer et d’élargir mes horizons artistiques. Ce fut une expérience intense.
D’ailleurs, j’ai avec moi un récipient, où je transporte mes outils pour peindre à tout moment. J’aime me définir d’abord comme un voyageur, et ensuite comme un peintre. Ça, parce que je suis ne suis pas capable d’être seulement un peintre. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, j’apprends des gens de tout domaine artistique, notamment les musiciens. Vous savez, au Japon les artistes des arts traditionnels sont proches les uns les autres, ce qui est essentiellement une caractéristique de la culture japonaise. Ainsi, la communication est possible et de milliers d’univers s’ouvrent. Quand cela arrive, j’ai la même sensation que lorsqu’on pratique du sport : la dopamine se relâche, et le coup de pression me pousse à dessiner. Que ce soit pour simple divertissement, ou pour un client, je peins en partant de mon imagination, nourri de ces voyages.
Q : Au sein de votre dernier projet, où vous mélangez l’art et la danse traditionnelle japonaise, quelles périodes traditionnelles avez-vous mélangées ?
R : Toutes les époques. L’avenir et le présent. L’idée de base est de représenter une époque classique, à travers la danse. Les personnes s’émeuvent assez facilement, lorsque leurs émotions sont touchées. Ainsi, bien que ce ne soit pas d’une forme claire, à travers cette danse, je veux représenter les mouvements du cœur.
© Shintarō Ninomiya – Jitsukawa Fu, Japanese traditional dancer
Q : Comment définiriez-vous votre art Monsieur Ninomiya ? À mon avis, votre art me rappelle le groupe Gutai et le peintre Pollock. Avez-vous le même sentiment ? Ou, alors, vous n’êtes pas du tout inspiré de cet art ?
R : Je pense que mon art se distingue. Je n’ai jamais eu le béguin pour un groupe d’artistes ou un artiste à lui seul. Je pense que je suis clairement différent, notamment sur l’emploi des matériaux.
© Shintarō Ninomiya – Jitsukawa Fu, Japanese traditional dancer
Q : Pourquoi affirmez-vous cela ?
R : Parce que, finalement, mon travail ne me ressemble pas du tout, même si la personne qui le voit dit qu’il me ressemble, ou qu’il lui rappelle quelqu’un d’autre. Je pense être différent car, c’est la connaissance de la personne qui regarde mon travail qui détermine l’achèvement du travail artistique. Par exemple, si vous regardez mes œuvres avec l’œil d’une personne qui est connaisseur d’art, elle n’a probablement pas la même perception de quelqu’un qui ne s’y connaît pas. Mais, ce qui est drôle, c’est que même les personnes qui ne s’y connaissent pas, dans une conversation, me disent que mes pièces paraissent à tel ou tel œuvre d’écrivain ou de peintre. Alors, je dis simplement que je suis différent.
Q : Vous avez plusieurs grands projets sur votre site web. Quel est votre préféré ?
R : Je les aime tous. Toutes ces œuvres font de moi ce qui je suis maintenant. Je les aime parce que les personnes que j’ai rencontrées ont donné leur avis sur chaque tableau, et ont mis un peu d’eux-mêmes dans mes pièces d’art.
Q : Pourquoi avez-vous choisi le nom Raininthebody, pour votre site-web ?
R : C’est un mot que j’utilise depuis longtemps désormais. Quand il pleut, la pluie peut vous rendre heureux ou mélancolique. Au moment où il pleut, la pluie continue sans cesse, et il est possible qu’un sentiment de solitude s’empare de votre corps. Mais justement, il ne s’agit pas forcément que du cœur qu’elle s’empare, mais plutôt de notre corps. Par exemple, je compare souvent cette sensation lorsque nous avons le cœur brisé par une personne aimée. Comme le cœur, la pluie perd sa forme dans notre corps.
© Shintarō Ninomiya – Jitsukawa Fu, Japanese traditional dancer
Q : Depuis combien de temps travaillez-vous comme peintre ?
R : Je travaille comme peintre depuis l’âge de 20 ans. Je me revois beaucoup dans Kenji Miyazawa, qui était un artiste qui ne recevait aucun revenu pour ses peintures. Je n’étais pas motivé à peindre, et étant occupé par le quotidien, je ne le faisais que par plaisir. Encore aujourd’hui, je le fais, mais j’étudies d’autres techniques telles que la direction spatiale, mon sens de l’achèvement artistique et la musique folklorique. J’ai une façon de penser compliquée, mais très novatrice et contestatrice. Je suis constamment en remise en question : j’invente les tâches à accomplir et je me pose des questions. Je continue d’apprendre à travers les résultats de mes actions et de mes réponses.
Q : Avez-vous des projets pour l’avenir ?
R : Certainement. Peindre me sert pour acquérir de l’expérience. Pour voir des nouvelles « entités ». J’ai l’intention de me rendre au Luxembourg en septembre. Je veux aussi devenir un artiste connu en France. J’aurai du aller aux Etats-Unis également, mais malheureusement, tout a été annulé à cause de la Covid19. En ce moment, j’ai ce projet avec cette danseuse d’Ōsaka, que j’apprécie énormément.
Ainsi, après quelques formules de politesse rituelles, l’appel s’est terminé. Dans la brume électrique, Paris frémissait dans les derniers jours de canicule. Ce jour-là, j’ai commencé à voir le monde d’une façon différente, en me posant la question suivante : est-ce que, finalement, tout n’est que simple émotion ?
Image de couverture : © Shintarō Ninomiya – Jitsukawa Fu, Japanese traditional dancer
Interview réalisée et traduite par Paolo Falcone