Après deux ans d’absence en rapport à la pandémie, les pilotes du très relevé championnat Moto GP avaient hâte de se retrouver le week-end du 23 au 25 septembre sur le célèbre circuit japonais de Motegi.
Honda, premier constructeur mondial de deux roues et accessoirement propriétaire du circuit, avait aussi à cœur de revenir enfin sur ses terres. Mais il s’en est fallu de peu pour que ce grand prix du Japon soit une nouvelle fois annulé. Non pas à cause, cette fois-ci, du coronavirus, mais plutôt du fait de conditions météorologiques particulièrement délicates, un typhon ayant menacé toute la semaine la côte est de l’archipel nippon. Ce qui dans un premier temps rendait compliqué l’acheminement du matériel de l’ensemble des écuries, la précédente épreuve ayant eu lieu le week-end du 18 septembre sur le circuit d’Aragon en Espagne. Un planning ultra serré dans ce championnat du monde lors de sa tournée exotique (Japon, Thaïlande, Australie et Malaisie, avant l’ultime épreuve de Valence le 6 novembre), les motos et nombreuses pièces détachées, mais aussi le matériel des ingénieurs, sont logiquement expédiées d’un continent à l’autre par avion.
Tout au long de la semaine, les aéroports de Tokyo sont restés dubitatifs face à l’éventualité de devoir fermer leurs portes. C’était sans compter sur l’intervention ô combien salvatrice de la plus légendaire divinité de la mythologie japonaise, la déesse du soleil Amaterasu. Cette accalmie fut fort bienvenue, car le week-end s’annonçait d’emblée particulièrement délicat, le planning revu à maintes reprises par les organisateurs où les conditions d’adhérence précaires sur une piste détrempée ne permettaient pas d’effectuer la totalité des séances d’essais libres du vendredi.
Qu’importe, ces pilotes aguerris en ont vu d’autres et c’est quand même sous la pluie que se dérouleront les séances qualificatives du samedi, d’une durée de 15 minutes chacune. La première d’entre elles nommée Q1, prend en compte les meilleurs chronos des pilotes effectués lors des essais libres (quelque peu perturbés cette année par une météo capricieuse). Sachant que la séance Q1 rassemble les pilotes les moins « performants », où seuls les deux meilleurs seront sélectionnés pour participer à la cession suivante, dénommée Q2. Celle-ci se compose de douze pilotes, dont les dix plus rapides sélectionnés la veille rejoints par les deux « repêchés » de la séance Q1. Cette ultime séance de qualification établira les positions sur la grille de départ lors de la course du dimanche.
Et, à ce petit jeu, c’est le pilote espagnol Marc Marquez qui s’en tire avec les honneurs grâce à une pole position des plus mémorables. En effet, cette légende vivante de la discipline revient tout juste d’une grave blessure au bras subie lors d’une impressionnante chute sur le tracé de Jerez en 2020. Une trop longue convalescence à la suite de nombreuses complications allait l’empêcher de défendre son dernier titre de champion du monde acquis en 2019 (huit au total dans sa carrière) et ce durant trois longues saisons, en y incluant celle en cours. Ce pilote hors norme a révolutionné la pratique de la discipline à lui tout seul. Il faut le voir aborder un virage, le corps totalement déhanché en dehors de la moto et se rattraper avec le coude (si, si, c’est possible !) afin d’éviter la chute lors d’une dérobade de la roue avant de sa machine. Les phases de freinage sont tout aussi intenses lorsque sous la pression du frein avant (en carbone pour plus de mordant par rapport à la version de série en acier) la roue arrière de la moto quitte le sol durant quelques secondes, laissant au pilote le soin d’aborder la courbe en mode instinct de survie ! Mi-pilote mi-équilibriste, son style incroyable a depuis inspiré tous les autres pilotes du plateau. Même l’ancienne gloire du moto GP fraichement retraité depuis cette année, Valentino Rossi et son célèbre numéro 46, la star italienne aux multiples records (dont neuf titres mondiaux) a dû au cours de sa carrière revoir sa copie en modifiant un tant soit peu son propre style de pilotage. C’est dire le niveau atteint, une légende s’en est allée et une autre s’installe !
Revenons à notre séance de qualification où les temps effectués sont assez loin des records (celui de la piste de Motegi établi en 2015 est à l’heure actuelle toujours détenu par Jorge Lorenzo avec un temps de 1’43’’790). Pour cela, une seule et simple raison et elle est de taille ! Rouler sous la pluie avec ces machines ultras puissantes est déjà en soit une sacrée performance, aussi atteindre 305 km/h au bout de la ligne droite longue de 762 mètres dans de telles conditions relèverait presque de la magie. Et le magicien Marc Marquez signe sur cette « patinoire » un retour tonitruant avec les 4,8 km du tracé avalés en 1’55’’214. De quoi redonner du baume au cœur au pilote ibérique tout autant que pour l’illustre ingénieur en chef du HRC (Honda Racing Corporation) Koji Watanabe qui, faute de la présence de son pilote fétiche lors des courses précédentes commençait à trouver le temps long.
Entre temps la concurrence s’est affutée et il est intéressant de savoir que les écarts au tour durant les séances de qualification sur une piste sèche, lorsque les conditions d’adhérence sont optimales, sont en dessous d’une seconde pour les vingt premiers. D’un pilote à l’autre, la différence se joue parfois au millième de seconde ! Quand on vous disait que le pilotage était proche de la perfection ! Pour aborder brièvement l’aspect technique de ces prototypes à plusieurs millions d’euros, la cylindrée est de 1000 cm3, la puissance avoisinant les 300 cv pour un poids de 157 kg témoigne de performances totalement hallucinantes. Avec un tel rapport poids/puissance, les vitesses de pointe dépassent sur certains circuits les 350 km/h. C’est dire toute la concentration et la maestria dont doit faire preuve l’ensemble des pilotes pour maitriser leur monture. Certes, l’électronique facilite quelque peu le pilotage et le travail sur l’aérodynamique est permanent, en particulier pour le constructeur italien Ducati qui donne depuis quelques saisons du fil à retordre aux maitres incontestés de la discipline que sont les constructeurs japonais Yamaha, Honda, mais aussi Suzuki.
Pour cela, Luigi Dall’Igna, ingénieur en chef et directeur d’écurie de la firme de Bologne, met tout en œuvre afin de mettre un terme à la presque insolente hégémonie nipponne. Leurs montures, tout de rouge vêtu feraient plus penser à des fusées sur deux roues tant les appendices aérodynamiques sous forme d’ailerons sont imposants. La firme italienne, parfois à la limite de la règlementation ira même jusqu’à concevoir un système (le ride height device) qui abaisse la moto dans les lignes droites. Conçu à la base pour effectuer un meilleur départ (le holeshot device), cet ingénieux procédé permet d’abaisser de quelques centimètres l’avant de la machine, empêchant ainsi tout cabrage intempestif tout en optimisant la motricité. Devant le succès obtenu, une nouvelle évolution permet d’agir sur l’ensemble de la moto afin d’obtenir un châssis à géométrie variable en actionnant un simple bouton sur le guidon, ce qui apporte un atout indéniable lors des phases d’accélération, mais aussi d’optimiser les vitesses de pointe. Un rêve réalisé de main de maitre par le célèbre « sorcier » italien.
Cependant cette avancée technologique un tant soit peu futuriste met les nerfs de la concurrence à rude épreuve et c’est pour cette raison que la règlementation de la saison 2023 limitera l’utilisation du système seulement pour la procédure de départ. Parmi les nombreux débats et autres polémiques, il faut impérativement garder à l’esprit toute l’importance que revêt la sécurité des pilotes. Devant ces vitesses atteintes, les chutes peuvent parfois être dramatiques. Félicitons la commission de sécurité qui met tout en œuvre dans cette direction, notamment par la création toute récente d’un air bag intégré à la combinaison en cuir avec une attention toute particulière au niveau de la colonne vertébrale, qui va se déclencher automatiquement en cas de chute. Ainsi le pilote aura beaucoup plus de chances de s’en sortir indemne.
Dimanche, 14 heures, heure locale, les 24 pilotes retiennent leur souffle et se préparent pour une boucle de 24 tours. Les feux s’éteignent, le départ est enfin donné sur une piste désormais totalement sèche. Le Sud-Africain Brad Binder sur KTM signe le holeshot (en tête au premier virage) suivi comme son ombre par Marc Marquez, auteur de la pole position et de Jorge Martin. Ça joue des coudes dès les premiers enchainements et le top 5 est complété par le portugais Miguel Olivera et l’espagnol Maverick Vinalès sur Aprilia. Les deux pilotes en tête du classement provisoire possèdent un boulevard d’avance sur leurs poursuivants au classement général, mais ils sont, hélas, au milieu du peloton. C’est presque une contre-performance de la part des deux protagonistes, où Fabio Quartararo, jeune prodige âgé de 23 ans et originaire de Nice démontre néanmoins que l’alliance franco-nipponne fonctionne à merveille avec un titre de champion du monde acquis de main de maitre en 2021 sur une Yamaha. Ainsi, le français et son plus proche poursuivant l’italien Francesco Bagnaia sur Ducati pointent respectivement 9e et 11e à l’issu du premier tour.
Afin de plaider en leur faveur, les circonstances sont particulières, car effectuer une séance de qualification sur piste mouillée et la course sur piste sèche relèverait peu s’en faut d’une partie de loterie. En effet, le choix des pneumatiques est crucial et parmi l’éventail que propose le manufacturier unique (Michelin), trois type de gommes sont à disposition, à savoir le tendre, le dur et l’intermédiaire. A cela, il faut ajouter dans cette stratégie de course, le style de pilotage, la température et le degré d’abrasion de la piste ainsi que le poids de la machine qui diminue jusqu’à 20 kg (consommation effective de carburant sur la durée d’une course), tous ces éléments engendrent forcément des aléas. Pour le grand prix du Japon, c’est l’Australien Jack Miller sur Ducati partit 6e et à la suite d’une remontée météorique et d’un cavalier seul durant une bonne partie de la course va faire valoir toute sa détermination et s’adjuger la victoire en même temps que le nouveau record du tour. Malgré cette victoire, c’est un peu la soupe à la grimace dans le clan Ducati. Un mélange de joie et déception, car son coéquipier, Francesco Bagnaia tente dans le dernier tour une ultime manœuvre de dépassement sur l’actuel leader du championnat, avec un freinage tellement appuyé que le pilote perd l’avant de sa Ducati qui part en glissade, frôlant de seulement quelques centimètres la roue arrière de la Yamaha de Fabio Quartararo. En espérant grappiller quelques points dans la course au titre, c’est la bérézina et la douche froide pour le pilote italien. Malgré toutes ces incertitudes et son lot de sueurs froides, le podium final du Grand prix du Japon est complété par Brad Binder, plutôt satisfait de sa performance et du jeune pilote Espagnol Jorge Martin, sur une Ducati cette fois non officielle (autrement dit une écurie indépendante qui bénéficie d’un soutien permanent du constructeur). Pour son retour aux affaires, Marc Marquez quant à lui signe une solide 4e place.
Si le Japon est dignement représenté parmi les constructeurs, il l’est un peu moins en ce qui concerne les pilotes. Le local Takaaki Nakagami fait ce qu’il peut pour se classer régulièrement parmi le top 10. Néanmoins, dans la catégorie inférieure qu’est celle du moto 2, le japonais Ai Ogura, la nouvelle étoile montante a su en ce dimanche ensoleillé enflammer le cœur des Japonais. Sous les encouragements du public venu nombreux pour l’occasion, les 32 000 spectateurs se retrouvent debout à chacun de ses passages lui permettant ainsi de trouver de la sorte toute la motivation nécessaire afin d’assurer une retentissante victoire à domicile. Les grands patrons de chez Honda gardent un œil sur le jeune pilote Ai Ogura qui se bat actuellement pour le titre de champion du monde, et ce dernier a de fortes chances de rejoindre l’élite mondiale du sport motocyclisme dans la catégorie reine du moto GP, dès la saison 2024. A cet instant précis, l’émotion atteint son paroxysme lorsque résonne l’e Kimi Ga Yo, l’hymne national japonais repris en cœur par le public tout acquis à sa cause.
Christian Gautier