Le TOKYO TOILET PROJECT ou la beauté dans le quotidien.
« Specialness is nice to have, but what’s more important is being made for all »
« L’unicité est bien à posséder, mais ce qui est plus important est que celle-ci soit à la portée de toute le monde » [Tadashi Yanai, traduction de l’anglais]
Koji Yanai cite son père, lors de la conférence à l’université d’Harvard, et est actuellement le membre du conseil d’administration d’Uniqlo – entreprise fondée par Tadashi Yanai -, l’une des plus grandes marques de la fast fashion depuis 1974.
Imaginez maintenant que le propriétaire de l’une des entreprises les plus renommées au monde s’intéresse aux toilettes publiques de Tokyo. Ce rapprochement pourrait faire l’objet de plusieurs questionnements et curiosités. Quel est le lien entre Uniqlo et les toilettes publiques ? Et comment ça s’est produit ?
Après quelques recherches, nous sommes là pour dénouer chaque fil de chaque question. Les racines de ce lien ont plusieurs fondements. Le tout premier semblerait être de nature architecturale. Ce concept est au fondement de l’architecture japonaise de l’après-guerre. En français, elle s’appelle « petite architecture pour les espace publics » (saishôkokyûkenchiku 最小故郷建築). Ce type d’architecture naît dans les années 80, avec la construction des postes de police (appelés en japonais kôban 交番). Normalement, ces postes étaient d’une superficie de 8 m², et étaient réalisés pour accueillir deux policiers maximum. Un exemple de l’architecture de ces postes de police est celui de 1994 du poste de police à Tokyo, réalisé par Kazuyo Sejima.
Station de Police à Chôfu réalisé par Kazuyo Sejima
Cette architecture s’est développée au sein de la mégalopole japonaise, et l’importance des petites toilettes publiques (chiisai toire 小さいトイレ) a pris de l’envergure. Elles incarnent aujourd’hui le changement de la société japonaise. Il peut paraître bizarre, mais le TOKYO TOILET PROJECT donne de l’importance aux minorités. Cela est possible car Koji Yanai a eu deux inspirations. La première concerne les Jeux Paralympiques de 2020 de Tokyo. Après avoir regardé la vidéo des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro à ce sujet, Koji s’est posé la question de comment on pouvait rendre viable la ville tokyoïte pour le public à mobilité réduite. La deuxième inspiration réside dans le mot japonais omotenashi (おもてなし) qui signifie « hospitalité ». Pendant la conférence à Harvard, il poursuit en disant que ce mot trouve sa racine dans la cérémonie du thé japonais et, pour lui, réside dans les gestes imperceptibles des rituels. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas la reconnaître à chaque fois.
L’idée de combiner ces deux éléments se fit lorsque Yanai écouta les propos de Shingo Kunieda, le plus fort joueur de tennis en chaise roulante. Ce dernier affirmait que Tokyo n’est pas une ville pratique pour les personnes avec une mobilité réduite. Cette réflexion a fait réagir Koji, visualisant désormais la ville avec un point de vue différent. Ainsi, il a combiné ce point de vue avec la réflexion de son père, sur l’emploi d’un objet par tout le monde. C’est ainsi que le projet est né.
Ce projet, qui a été fait avec la Nippon Foundation, consiste à bâtir des toilettes publiques qui peuvent être utilisées par tout le monde. Le projet prévoit des nouvelles toilettes à 17 endroits dans Shibuya à Tokyo, afin d’avancer vers la réalisation d’une société qui embrasse la diversité.
Ainsi, il a proposé de regrouper 16 personnes parmi des designers, designers d’intérieur, des professeurs, des fashion et créatifs designer.
Nous avons choisi quatre toilettes à vous montrer, grâce à l’aide de la Nippon Foundation. Les autres, vous pourrez les trouver dans le site principal de THE TOKYO TOILET PROJECT et de la Nippon Foundation.
Si vous avez envie d’une pause toilette flamboyante, les toilettes de Nao Tamura, sont pour vous ! Le style carré, net et propre de ces toilettes se mélangent à la couleur rouge, qui rend aisé son repérage.
© SS Co.,Ltd. Hojo Hiroko (photo de gauche) & Satoshi Nagare, courtesy of the Nippon Foundation (photo de droite)
En revanche, si vous êtes une personne aimant de la nature et les randonnées en forêt, à quelque pas de Shibuya en pleine ville, accordez vous une pause dans la nature urbaine de Kengo Kuma. Les planches en bois vous donneront l’impression de rentrer dans un marais magique.
© Satoshi Nagare, courtesy of the Nippon Foundation
Si vous souhaitez une pause un peu plus « lunaire », vous n’avez à vous rendre qu’aux toilettes de Kazoo Sato. Leur aspect sphérique et la lumière en dessous lui confère une allure flottante et suspendue. Le choix du blanc lui donne une touche candide.
© Satoshi Naga, courtesy of Nippon Foundation
La dernière de Shigeru Ban est parmi celles qui attise le plus la curiosité. Lorsqu’elle est vide, les personnes peuvent voir à son intérieur. Cependant, quand une personne rentre, les vitres deviennent opaques pour empêcher les regards indiscrets. Les trois couleurs chauds invitent les clients à s’octroyer un moment d’apaisement, dans le quotidien tourbillonnant de Shibuya.
© Satoshi Naga, courtesy of Nippon Foundation
Lors de la réalisation, il y a eu deux grandes questions : le côté viable et esthétique d’une part, et l’accessibilité de la part du personnel ménager. Le fashion designer NIGO a supervisé la création des uniformes pour le personnel de maintenance, qui travaille assidument pour maintenir propre les toilettes 2-3 fois par jour.
Lors de la conférence, Yanai cite 10 points d’apprentissage ou bien dix « leçons pour lancer un projet » :
- Commencez par vous-même : vous pouvez trouver de l’inspiration n’importe où et n’importe quand. Mais vous seul pouvez commencer de votre projet. La véritable raison de son existence vient de vous. Respirez profondément, puis passez à l’action.
- Soyez ouvert à tous : l’accessibilité est la clé d’un projet global et durable. Plus vous êtes ouvert, plus votre idée a de potentiel.
- Travaillez dur : Faites tout ce qui est en votre pouvoir et faites même les choses que vous n’aimez pas. Faites ce qui est nécessaire, que cela vous plaise ou non. Vous serez recompensé.
- Faites vous entendre fort : Je [Koji Yanai] connais la valeur d’une émeute silencieuse. Mais si vous criez, assurez vous d’être entendu.
- Prenez vos propres décisions : Si vous êtes prêts à assumer vos responsabilités, vous devez tout décider par vous-même. Au cours du projet, de nombreuses choses vont échouer, mais la meilleure façon de minimiser les regrets est de prendre vos propres décisions.
- « Taper aux bonnes portes » : Si vous parvenez à trouver le bon partenaire, votre joie sera doublée et votre peine réduite de moitié. De même, le projet sera réalisé plus rapidement et les difficultés pourront être minimisées.
- Trouvez votre génie. : il faut reconnaître ses propres limites et il faut donner confiance au talent du génie. Considérons à nouveau les raisons du pourquoi on les appelle des génies. Pour être un génie, vous devez vous entourer de génies.
- Ne pas négliger les éléments apparemment petits : les petites choses s’additionnent. Les petites choses font une grande différence – bonne ou mauvaise.
- Résoudre un problème + poser un problème = innover : Le design est une solution à un problème et l’art est une question à un problème [John Maeda]. Le design et l’art peuvent être réalisés simultanément. Si vous y parvenez, vous pourrez peut-être changer les modes de pensée actuels.
- Entretenez vos créations : Vos créations sont comme vos bébés. Prenez en la responsabilité et gardez-les en bonne santé et propres [traduit de l’anglais].
Avoir une idée, créer un projet et maintenir ce projet sont parmi les choses les plus difficiles que l’on puisse faire. Il faut une coordination parmi les personnes, parmi les sponsors, les financements, et c’est souvent chronophage et énergivore. De plus, plusieurs choses changeront en fonction des imprévus et des attentes de l’équipe. Mais n’est-ce pas également la beauté de la vie d’être capable de s’adapter à chaque situation et de s’en sortir toujours avec le sourire ?
La prochaine fois que vous vous rendez à Tokyo, cherchez ces 17 toilettes et contemplez l’art et le design, qui peuvent se retrouver dans toute chose. Mais surtout, contemplez l’engagement collectif des personnes qui sont désireuses d’améliorer leur ville, même à travers les toilettes : une chose rigolote et presque insignifiante à la fois. Mais si vous pensez cela, nous allons vous citer le poème suivant, réalisé lors du projet artistique avec Wim Wenders :
« Tout le monde,
ayant une bonne ou une mauvaise journée,
s’échappant de, ou cherchant quelque chose,
qui est tombé amoureux, ou qui combat la paranoïa,
ou ayant toujours la tête dans les nuages,
nous allons tous aux toilettes
dans la journée.
Les toilettes, peut-être, sont un endroit
où nous arrivons à comprendre
que nous sommes tous les mêmes.
Un endroit.
Je pourrais trouver une idée révolutionnaire.
Ou un endroit,
je décide d’arrêter d’envoyer des messages qui pourraient blesser
quelqu’un.
Sans assez d’espace pour être seul,
nous sommes tous en train de nous précipiter dans nos vies.
Une brève pause dans les toilettes
de temps en temps
me rappelle ce fait. » [traduction de l’anglais]
Par Paolo Falcone