Partons à la (re)découverte d’un des manga les plus appréciés des enfants et adolescents. Par Léa Van Cuyck
La genèse du manga
Naruto (ナルト) est un manga de type shōnen, une ligne éditoriale s’adressant de manière privilégiée à un lectorat constitué de jeunes garçons, même si les adolescents masculins ne sont pas les seuls à s’intéresser à ce genre littéraire, bien au contraire !
Ce manga vit le jour en 1999 (épisode pilote publié dans le Weekly Shōnen Jump deux ans auparavant) sous la plume du mangaka KISHIMOTO Masashi, natif de la préfecture d’Okayama au Japon. En tout, cet auteur a réalisé plus de 70 tomes pour conter les aventures de ses personnages, dont l’œuvre porte le nom du héros principal. Le succès fut tel que le manga fut adapté en série d’animation et inspira la création de nombreux films, séparés en deux sections correspondant à l’âge du protagoniste au centre de l’histoire : Naruto (enfant-adolescent) et Naruto Shippuden (jeune adulte).
Un univers à part
Dans ce monde, cinq grandes puissances essayent d’asseoir leur domination via des missions d’espionnage et des alliances. Ces nations sont toutes nommées en fonction des éléments fondamentaux : en premier, nous avons le Pays du Feu (où vit notre héros Naruto), puis celui du Vent, de la Terre, de l’Eau et enfin celui de la Foudre. Chacune de ces nations regroupe dès lors en son sein des « villages cachés », où habitent notamment des ninja, et plus rarement des samouraï.
La majorité de l’intrigue tourne autour du village caché de Konoha, situé sans surprise dans le Pays du Feu (火の国 Hi no Kuni). Cependant de nombreux autres villages sont régulièrement mis en avant, comme le village caché de Suna localisé dans le Pays du Vent.
Le monde de Naruto tient sa particularité du savant mélange entre l’image nostalgique d’un Japon féodale guerrier (ère Sengoku) et notre société actuelle pétrie de nouvelles technologies. Ce manga représente en quelque sorte la jonction réelle entre modernité et tradition, qui semble être l’apanage de l’archipel nippon. Ainsi, nos héros évoluent dans un monde gouverné par une élite militaire, mais où apparaissent quelques fascinants anachronismes : les ninja dotés de pouvoirs télépathiques ou capables de jeter des sorts se retrouvent alors équipés d’uniformes à la « G.I. Joe » (pour ceux entre autres de Konoha) et de talkies-walkies, se servant d’ordinateurs pour réaliser des analyses ADN ou bien encore pour procéder à des greffes médicales ingénieuses. C’est en somme un univers où des technologies à la fois fantaisistes et réelles se côtoient, où des chambres photographiques à soufflet et des canettes tout droit sorties de jihanki (自販機, distributeurs automatiques) se matérialisent aux côtés de parchemins ensorcelés et de télékinésies spatio-temporelles stupéfiantes, dans la pure tradition de la fantasy urbaine appliquée à la bande dessinée japonaise.
Des sorts et des techniques de combat hors pair
Dans cet univers, les personnages naissent avec du chakra, une énergie spirituelle circulant dans leur corps par le biais des méridiens. Cette énergie peut être de différentes natures, pouvant être transformée, selon les affinités de chaque ninja, dans les cinq éléments principaux (eau, terre, feu, foudre, vent) rappelant intelligemment les appellations des cinq grandes nations shinobi (忍び) se concurrençant pour la suprématie du monde.
Le chakra, une fois contrôlé par son utilisateur, permet de se tenir sur l’eau (concentration de l’énergie spirituelle dans les pieds) ou bien d’avoir recours aux jutsu (術) : des techniques de combat spécifiques aux ninja. Ces dernières permettent de faire apparaître des sujets/objets physiques tels que des clones ou des boules de feu (忍術 ninjutsu), d’enfermer des objets, des êtres vivants ou des âmes grâce à des sceaux (封印術 fûinjutsu), pratique dans laquelle excelle notamment le clan Uzumaki, ou de créer des illusions d’optique (幻術 genjutsu). Ainsi, les ninja ont à leur disposition tout un arsenal de techniques comprenant les invocations, les téléportations ainsi que les manipulations mentales.
Ces incantations ne sont cependant possibles qu’après généralement l’exécution de mudrâs, des positions palmaires spécifiques nommées en fonction des signes de l’astrologie calendaire chinoise : Rat, Buffle, Tigre, Lapin, Dragon, Serpent, Cheval, Chèvre, Singe, Coq, Chien et Cochon.
D’autres techniques sont en revanche héréditaires, tels que le byakugan (白眼) du clan Hyûga, le sharingan du clan Uchiwa et le rinnegan, tous trois étant des dôjutsu (瞳術) extrêmement puissants localisés dans les pupilles des ninja.
En plus des arts nécessitant du chakra, les ninja savent également manier les armes de longue et courte portée, entre autres les kunaï et shuriken. Ces armes font partie intégrante de l’art du taijutsu (体術, combat à mains nues), maitrisé avec excellence par le clan Senju par exemple.
Certains ninja auront aussi des armes bien distinctes, comme des katana imposants, des marionnettes humanoïdes, des éventails géants, ou bien seront accompagnés d’animaux (insectes, chiens etc.), compagnons avec lesquels il est possible de réaliser des attaques combinées. Certaines armes peuvent également être « vivantes », comme l’épée « animée » Samehada recouverte d’écailles.
Les bijû, des « démons à queues »
L’intrigue principale et différenciante de ce manga est la présence de bijû (尾獣), des entités disposant d’énormes quantités de chakra, scellées à l’intérieur d’hôtes appelés jinchûriki. Ces démons ont des formes et des pouvoirs uniques, disposant d’une à neuf queues. Ainsi, en fonction du nombre d’appendices, ils sont surnommés Ichibi (一尾 Une-Queue), Nibi (二尾 Deux-Queues), Sanbi (三尾 Trois-Queues) et ainsi de suite jusqu’à Kyûbi (九尾 Neuf-Queues), appelé « démon renard », enfermé dans le corps de notre héros Naruto.
Créatures puissantes aux capacités destructrices, les bijû sont au cœur des politiques de domination des nations ninja, les jinchûriki permettant d’augmenter la force de frappe militaire des villages les possédant. Véritable outil de propagande et de dissuasion, les « réceptacles » sont alors des guerriers redoutables, capables d’exploits extraordinaires, mais des hôtes difficilement contrôlables sans les sceaux magiques appropriés.
Une société militaire hiérarchisée
Pour régenter cette civilisation, la société ninja a été découpée en plusieurs grades, définissant chacun d’eux le degré de maitrise du chakra et des tactiques de combat des guerriers. Les apprentis combattants intègrent tout d’abord l’Académie, une institution permettant d’apprendre les techniques de base de l’enseignement shinobi. Ces élèves ne recevront alors le titre de genin (下忍), qualifiant le degré le plus bas dans la hiérarchie ninja, qu’à l’issue d’un examen de fin d’année éliminatoire. À ce moment-là, les vainqueurs pourront revêtir le bandeau frontal où est gravé le symbole de leur village caché (une feuille pour Konoha). Ainsi, les ninja sont clairement identifiables lorsqu’ils sont amenés à exécuter des missions à l’extérieur de leur pays.
Ensuite, les genin devront à nouveau réussirent une épreuve pour devenir chûnin (中忍), niveau qui permet d’avoir sous sa directive plusieurs genin : Iruka-sensei, le professeur de Naruto, illustre parfaitement cet exemple. Enfin, il existe un dernier niveau, celui des jônin (上忍), grade uniquement attribué aux ninjas ayant fait leurs preuves et pouvant assurer la transmission aux futures générations. Les jônin deviennent alors les tuteurs d’équipe constituée de trois genin novices.
Toute cette organisation est alors gouvernée par une entité suprême appelée kage, cette personne étant à la fois le chef des armées ninja et le dirigeant officiel du village. Chaque kage prendra alors le nom du pays qu’il gouverne comme préfixe : le kage de Konoha du Pays du Feu sera le hokage (火影), le kanji 火 désignant le feu, tandis que le kage de Suna du Pays du Vent sera le kazekage (風影), le kanji 風 signifiant « vent ».
Leurs fonctions leur permettent entre autres de signer des ordres de mission de filature ou d’exécution lorsqu’un ninja devient renégat. Pour les missions à haut risque ou devant se dérouler sous le sceau du secret, le kage fait alors appel à une élite à part constituée des meilleurs ninja : les anbu. Ces assassins sont alors reconnaissables à leur masque, nécessaire pour remplir leurs missions périlleuses sous le couvert de l’anonymat.
Des personnages émouvants
Comme le nom du manga l’indique, le personnage principal s’appelle Naruto. Au début, il s’agit d’un garçon farceur, regorgeant d’entrain pour échapper aux corvées et amuser ses camarades. Orphelin et rejeté de tous car il abrite le fameux « démon à neuf queues » en lui, cette attitude n’est cependant qu’une façade pour se rendre sympathique aux yeux des autres, son plus grand souhait étant d’être reconnu par ses pairs. Au fur et à mesure, Naruto se transforme en un jeune adolescent impulsif, intrépide, excentrique et un peu naïf, mais dont la bravoure n’a d’égale que sa compassion. Profondément tourné vers les autres, il lie des liens forts et sincères avec les ninjas qu’il rencontre. Inébranlable dans son envie de sauver ses camarades, sa détermination le fera avancer coûte que coûte malgré les épreuves, lui conférant la force nécessaire de persévérer lorsque son ami Sasuke s’éloignera seul sur un chemin baigné par les ténèbres. Dans sa course à la puissance, il pourra notamment compter sur son mentor Jiraya.
Naruto fera équipe avec deux autres compères ninjas sous les ordres de leur sensei Kakashi : Sasuke et Sakura. Sasuke, tout comme Naruto, est un orphelin, dernier dépositaire de l’héritage Uchiwa. En effet, l’ensemble des possesseurs du sharigan furent assassinés en une nuit, le laissant seul, avec une rancœur amère envers son frère aîné, traître shinobi tenu responsable du massacre. Son unique aspiration étant donc de se venger, il repoussera pour cela les limites de son corps et de la morale. Il s’alliera par intérêt notamment à un ninja renégat versé dans les sciences occultes, répondant au nom d’Orochimaru. D’apparence froide et impavide, Sasuke exsude une aura délétère tandis que Naruto affiche pour sa part un air jovial attachant.
Enfin, dernier membre du trio de genin supervisés par leur sensei Kakashi, Sakura est une jeune fille empathique et réfléchie. Patiente et excellente technicienne des arts ninjas, elle parviendra à maitriser le ninjutsu médical et le taijutsu grâce à son mentor la princesse Tsunade du clan Senju. Bras droit de Naruto lors de leurs missions en tant que shinobi confirmés, elle est une redoutable adversaire qui le secondera au mieux dans sa quête pour sauver Sasuke dont elle est profondément amoureuse.
Il n’est pas étonnant de découvrir que ces trois genin apprendront auprès des meilleurs guerriers, les Trois Ninjas Légendaires (伝説の三忍 Densetsu no Sannin) : Jiraya, Orochimaru et Tsunade. Et ce n’est pas sans humour que nous croyions percevoir quelques facéties Nicky-Larsoniennes dans les sourires de Jiraya : la persistance de ce ninja, surnommé par ailleurs « Ero-Sennin » par Naruto, à vouloir débusquer la gent féminine dans les onsen rappelle, telle une décalcomanie spleenétique, la frénésie quasi obsessionnelle du célèbre détective privé.
Cette lubie que Jiraya cultive pour écrire ses romans érotiques lorsqu’il n’est pas en train de « combattre le crime » lui vaudra par ailleurs des coups à de nombreuses reprises par sa camarade Tsunade, connue pour sa promptitude à « taper du poing » lorsqu’elle est énervée, trait de caractère rappelant également étrangement le personnage de Laura dans le manga City Hunter de Hōjō Tsukasa.
Orochimaru quant à lui est une anguille sournoise se faufilant dans les courants troubles du destin. Prodige dans les réincarnations et expérimentations génétiques interdites, c’est un personnage qui use de tous les stratagèmes pour survivre, jusqu’à contrarier les plans de la Grande Faucheuse en personne.
Ainsi, le manga nous offre un panel diversifié de personnages que nous suivons au gré des tomes, tant dans leur évolution personnelle que professionnelle (eh oui, leur métier, c’est quand même d’être des ninjas !). À la manière des livres Harry Potter qui accompagnèrent toute une génération, le mangaka a su pleinement développer ses êtres de papier et nouer une connexion avec ses lecteurs tout au long de leur propre construction psychique et physique.
Laissez-vous donc rapidement charmer par Naruto et sa fameuse expression idiomatique « dattebayo » reconnaissable entre mille !
Par Léa van Cuyck