Avec RedFlower, Loui, jeune auteur franco-ghanéen, propose une aventure inédite qui mêle action, spiritualité et légendes ancestrales.
Cette série captivante en cinq tomes, publiée chez Glénat, invite les lecteurs à suivre le parcours initiatique de Kéli, un adolescent tiraillé entre tradition pacifique et défis modernes. Un véritable hommage aux récits ghanéens et à la puissance narrative du manga japonais. À l’occasion de la sortie du deuxième tome, nous sommes entretenus quelques jours avant le festival d’Angoulême où il sera présent. Le tome 2 de Redflower est disponible depuis le 22 janvier 2025.
Interview
Japan Magazine (JM) :
Pour commencer cette interview, pouvez-vous vous présenter rapidement et nous raconter votre parcours ?
Loui :
Avec plaisir ! Je m’appelle Louis, c’est mon nom d’auteur, et cela fait maintenant cinq ans que je fais du manga, on va dire, de manière professionnelle. J’ai commencé en auto-édition avec deux recueils de one-shots que j’ai réalisés. Ces histoires sont inspirées de mon enfance, de ma culture, et surtout des récits que mes grands-parents, originaires du Ghana, me racontaient. Depuis quelques années, je développe un univers appelé Red Flower, qui s’inspire des cultures ouest-africaines, de récits de fantasy, de contes et légendes. Récemment, je suis passé chez Glénat pour continuer à développer cet univers à travers une série en cinq tomes. Le deuxième tome est sorti en librairie depuis peu.
JM :
D’après ce que j’ai lu, vous avez découvert One Piece à l’âge de 18 ans. Pouvez-vous nous raconter les circonstances de cette rencontre, sachant qu’à l’époque, en Afrique, les manga étaient très peu accessibles ?
Loui :
Oui, le manga n’existait quasiment pas au Ghana à l’époque. Je connaissais les BD, comme Astérix ou Tintin, grâce à ma mère, qui est française, mais je n’avais aucune idée de ce qu’était un manga. C’est autour de mes 18-19 ans, après le bac, qu’un ami m’a montré des scans de One Piece. Il s’agissait de scans en ligne, de mauvaise qualité, mal traduits, mais malgré tout, j’ai été complètement captivé. Le dynamisme des planches, l’énergie du récit, et le rythme narratif m’ont touché. Je me suis dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Ça ressemble à de la BD, mais ce n’est pas de la BD. Ça se lit différemment. » J’ai commencé à dévorer tout ce que je pouvais trouver en ligne : Death Note, Shaman King , Naruto, Gantz et bien d’autres. Ces lectures m’ont confirmé que ce format narratif était incroyable. Moi qui voulais devenir écrivain, j’ai réalisé que j’aimerais raconter mes histoires sous forme de manga.
JM :
Est-ce cette découverte qui vous a poussé à venir en France en 2015, ou cela s’est-il fait autrement ?
Loui :
Pas immédiatement, car je ne savais pas où ni comment apprendre à faire du manga. En cherchant sur Google, j’ai découvert que le manga venait du Japon, mais j’ai aussi appris que la France était le deuxième plus grand marché de manga au monde. Étant anglophone, j’ai d’abord pensé aux États-Unis, qui ont une grosse culture des comics. Mais c’était trop loin, trop cher, et je n’avais aucun point d’attache là-bas. En revanche, j’avais des cousins à Toulouse, en France. Je me suis dit que si je devais m’installer dans un pays pour essayer de percer dans le manga, autant être bien entouré. En 2015, j’ai pris la décision de déménager en France et d’essayer de devenir mangaka. Je ne savais pas trop ce que cela impliquait, mais j’avais établi un plan dans ma tête.
JM :
Et quelle a été la réaction de votre famille à ce moment-là ?
Loui :
Mon père m’a immédiatement soutenu. Lui-même écrivain dans sa jeunesse, il avait écrit deux romans, donc il comprenait les défis et les incertitudes liés à une carrière artistique. Ma mère, de son côté, m’a simplement demandé de faire les choses intelligemment, sans me lancer à l’aventure sans préparation. J’ai donc identifié des écoles en France, des artistes à suivre, et des étapes à franchir pour atteindre mon objectif. Une fois arrivé en France, j’ai réalisé l’écart qui existait entre moi et ceux qui dessinent depuis toujours. Je ne dessinais pas quand j’étais enfant, car je ne connaissais pas le manga. J’ai compris qu’il me faudrait rattraper ce retard. De 2015 à 2018, j’ai fait beaucoup de one-shots pour m’améliorer en dessin, en narration, et en mise en scène.
JM :
Vous avez parlé d’auteurs français. Avez-vous eu l’occasion de les rencontrer et d’échanger avec eux ?
Loui :
Oui, j’ai fait des rencontres précieuses en France, notamment lors de salons de manga et de BD. Tony Valente, l’auteur de Radiant, par exemple, m’a donné des conseils très pertinents. Renaud Le Maire, qui a écrit Dreamland m’a également aidé à structurer mon approche et à tracer mon propre chemin. J’ai également rencontré Saïd Sassine, qui m’a beaucoup aidé sur des aspects plus techniques, notamment la narration et la composition. Il est un grand fan de Dragon Ball, et grâce à lui, j’ai pu comprendre l’efficacité narrative et la clarté visuelle de cette œuvre. Ces échanges m’ont vraiment permis de mieux appréhender certains aspects du manga et de progresser. Cependant, il me manquait quelque chose dans les réponses obtenues en France concernant les codes spécifiques du manga. Pour moi, ces codes sont profondément enracinés dans la culture japonaise. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller au Japon, où j’ai pu échanger avec des mangaka japonais et obtenir des conseils beaucoup plus adaptés.
JM :
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de vos voyages au Japon ?
Loui :
Ce qui m’a marqué, c’est l’omniprésence du manga dans leur culture. À Tōkyō, par exemple, le manga est partout : dans les publicités, sur les mascottes des entreprises, même les plus sérieuses. Au Japon, tout le monde connaît et consomme les codes du manga. Une rencontre marquante a été avec la mangaka YAZAWA Nao connue pour avoir écrit Wedding Peach, qui m’a expliqué la narration d’un point de vue musical et rythmique. Elle m’a appris à penser mes compositions en termes de rythme, comme dans une partition musicale, ce que je n’avais jamais entendu en France. Ces échanges ont énormément enrichi ma vision.
JM :
Lors de ces voyages au Japon, avez-vous eu l’occasion de présenter votre travail à des mangaka ou éditeurs japonais ?
Loui :
Oui, j’ai montré mon travail à plusieurs professionnels, notamment lors d’un concours de manga silencieux. Ce format m’intéresse beaucoup, car toute l’histoire repose sur la composition et les cadrages, sans dialogues ni texte. J’ai également échangé avec un éditeur travaillant sur L’Étoile du Nord. Ces rencontres ont été incroyablement enrichissantes et m’ont permis de mieux comprendre les attentes du public et des professionnels japonais.
Japan Magazine :
Revenons à Red Flower. À la fin du premier tome, on laisse Kéli blessé et face à un nouveau personnage. Que pouvez-vous nous dire sur ce deuxième tome ?
Loui :
Dans ce deuxième tome, les enjeux montent d’un cran. Le premier tome était avant tout un tome d’exposition, où j’ai posé les bases de cet univers et introduit les personnages principaux. Certains lecteurs connaissaient déjà cet univers grâce à mes travaux en auto-édition, mais je voulais aussi permettre à de nouveaux lecteurs de s’immerger complètement. Le deuxième tome approfondit les personnages et développe des intrigues plus complexes. On suit notamment le grand frère, un personnage clé, et on explore davantage le rôle du sorcier, qui intrigue beaucoup les lecteurs. Le sorcier est un personnage ambivalent, à la fois amusant et mystérieux, et il joue un rôle central dans l’histoire à venir.

pour Japan Magazine
JM :
Vous avez mentionné que Red Flower s’inspire de contes et légendes de votre enfance. Y a-t-il une histoire en particulier qui vous a marqué et que vous avez intégrée dans l’univers ?
Loui :
J’ai grandi avec beaucoup de contes. Ce n’était pas que des contes africains. J’ai grandi avec L’Odyssée d’Homère, je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a beaucoup, beaucoup touché quand j’étais gosse. J’ai grandi avec les contes, les fables de La Fontaine, etc., mais aussi beaucoup de contes africains, dont les histoires d’Anansi l’araignée. Si c’est un nom que vous reconnaissez, c’est normal. En fait, j’ai emprunté le personnage d’Anansi, j’en ai fait un sorcier. Parce qu’à la base, Anansi, en fonction des légendes, c’est soit une araignée, soit un dieu. C’est une espèce de personnage dans les contes africains que j’aimais beaucoup, justement à cause de son ambiguïté. Anansi, il n’est ni bon ni méchant, il est très fourbe, il est très intelligent et il utilisait son intelligence pour surmonter, pour déjouer les tours et pour jouer les tours aux autres animaux de la savane. Parce qu’une araignée, c’est plus petit, c’est plus faible qu’une hyène, qu’un lion, par exemple. J’adorais ce personnage. Et donc, dans mon manga, je le fais vivre. J’ai emprunté Anansi, j’en ai fait un sorcier, un griot, un petit raconteur d’histoires.
Japan Magazine :
Vous sentez-vous proche de Kéli, votre personnage principal ?
Loui :
Oui, il y a une part de moi dans Kéli, mais aussi dans tous mes personnages. Kéli est un adolescent têtu, impulsif, qui fait des erreurs en étant trop focalisé sur ses propres problèmes. Ses traits sont profondément humains, et je pense que beaucoup de lecteurs s’y reconnaissent. À travers lui, je revis des moments de ma jeunesse : mes confrontations avec l’autorité, mes maladresses, et mes erreurs qui ont parfois blessé mes proches. Même si certains lecteurs trouvent que Kéli est « une tête à claques », ils le disent avec affection, car il représente un passage naturel de l’adolescence.
JM :
Quels défis avez-vous rencontrés en développant ce projet en cinq tomes ?
Loui :
Le plus grand défi a été d’adapter l’histoire pour un nouveau public. Mes lecteurs en autoédition avaient déjà une certaine connaissance de l’univers, mais pour ceux qui découvraient Red Flower avec Glénat, il fallait fournir suffisamment de contexte sans ralentir le récit. Cela demandait un travail narratif très précis. Heureusement, j’ai développé cet univers progressivement, en passant par des one-shots, puis des tomes auto-édités, avant d’arriver à une série plus longue. Cela m’a permis de structurer l’histoire étape par étape et d’éviter de me retrouver coincé.
JM :
Vous avez déjà mentionné que Red Flower est prévu en cinq tomes. Avez-vous réfléchi à ce que vous ferez après cette série ?
Loui :
J’ai quelques idées en tête, mais pour l’instant, je préfère me concentrer sur Red Flower. J’ai noté ces idées sur des post-it que j’ai rangés dans un tiroir. Je les explorerai quand ce sera le bon moment. Pour l’instant, mon énergie est entièrement dédiée à cette série.
JM :
Vous serez présent au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême cette année. Que représente cet événement pour vous ?
Loui :
Ce sera ma troisième participation. La première fois, en 2023, je suis venu en autoédition, ce qui était une expérience incroyable. Gérer son propre stand à Angoulême est un défi énorme, entre la logistique, les coûts, et les dédicaces tout le week-end. Participer avec Glénat est différent, mais tout aussi enrichissant. Cela permet de rencontrer un public plus large et de partager l’évolution de mon travail. Angoulême reste un moment fort de l’année pour échanger avec les lecteurs.
Propos recueillis par Hui-Ping PANH

Informations :
Red Flower t.2
Editions Glénat
Date de sortie: 22.01.2025
Prix: environ 8€