Quand vous entendez parler des estampes japonaises, à qui pensez-vous ? HIROSHIGE ? HOKUSAI ? C’est vu et revu !
En 2022 le musée Edo-Tôkyô et la Maison de la culture du Japon ont coorganisé l’expo “Un bestiaire japonais”. Ils reviennent cette année avec “Tôkyô, naissance d’une ville moderne”. Comment Tôkyô est-elle passée d’une Edo médiévale emplie de maisonnettes en bois, pour devenir la ville aux néons colorés et aux buildings géants que nous imaginons tous ? C’est cette métamorphose progressive que, dans les années 1920-1930, de nombreux artistes tels que KAWASE Hasui, FUJIMORI Shizuo, ou encore KASAMATSU Shirô, ont su capturer. Par des jeux de lumière novateurs, des techniques modernes et une volonté d’expression personnelle plus marquée, les artistes de cette époque témoignent d’une transformation urbaine dont peu d’autres ont conservé la trace pour la postérité.
C’est inédit ! Plus d’une centaine d’œuvres de la collection du musée Edo-Tôkyô seront exposées. Dès le 6 novembre 2024, et seulement jusqu’au 1er février 2025, vous aurez la chance de pouvoir explorer une facette de la ville que vous n’avez encore jamais vue !
Le shin hanga (新版画) et le sôsaku hanga (創作版画)
Ces deux mouvements apparaissent à l’ère Taishô (1912-1926). Le Japon se modernisant, la photographie remplace le rôle informatif des ukiyoe (浮世絵) : la nécessité d’un renouveau de l’estampe se fait ressentir pour les artistes et les éditeurs en voie d’extinction.
Contrairement au sôsaku hanga (estampe créative) qui prône le “fait maison”, le shin hanga (nouvelle gravure) remet la technique de l’ukiyoe au goût du jour avec un dessinateur, un graveur, un imprimeur et un éditeur. Ainsi, le rendu du shin hanga est plus précis, plus propre et plus doux. Quant au sôsaku hanga, encourageant l’artiste à exprimer sa patte, il donne lieu à des œuvres aux lignes plus épaisses et plus brutes.
En France, de nombreuses expositions sur les estampes traditionnelles ont eu lieu, mais “Tôkyô, naissance d’une ville moderne” constitue une occasion exceptionnelle pour découvrir l’estampe moderne apparue après l’ukiyoe ! La mise en scène utilise astucieusement les couleurs et les espaces, articulant l’exposition en 4 volets chronologiques.
Chapitre 1 : Tôkyô avant le Grand tremblement de terre du Kantô
Cette partie témoigne d’un Tôkyô disparu, aux paysages urbains en pleine modernisation. Retrouvez, par exemple, une estampe de KOIZUMI Kishio, sur laquelle figure la tour Ryōunkaku, surnommée la “Tour Eiffel du Japon” et malheureusement détruite lors du tremblement de terre de 1923. L’estampe commence à empreinter à la photo et à la peinture occidentale, les premières locomotives apparaissent sur le fil du bois des estampes. Les techniques et ustensiles se diversifient et modernisent, eux aussi, et l’on voit des traits de brosse inexploitée jusque là apparaître dans les tableaux, tandis que la lithographie se popularise. Le traitement des couleurs et des détails change et devient plus expressif du style des artistes.
Chapitre 2 : Le Grand tremblement de terre du Kantô
Le 1er septembre 1923 vers 12h, un terrible séisme de magnitude 7,9 fait trembler le Japon, causant plus de 106 000 disparus. Plongée dans une atmosphère sombre, déambulez parmi les illustrations d’un évènement qui a traumatisé tout un pays : tornade de feu, incendies, bâtiments en ruines… Les estampes et dessins de presse enflamment le regard et font prendre la mesure d’un désastre qui a marqué durablement les esprits et la culture.
Chapitre 3 : La reconstruction de Tôkyô
Comment se reconstruire après une telle tragédie ? Ici, assistez à la métamorphose de Tôkyô : le bois côtoie de plus en plus le béton, les néons habillent la ville… Les scènes nocturnes d’une vie urbaine dynamique se multiplient. De nouveaux sujets s’introduisent dans la peinture, comme la ville industrielle et ses fumées. Les ponts en particulier, grand sujet de la peinture japonaise, subissent une évolution qu’il est passionnant d’observer, estampe après estampe. Le Grand Tokyo s’illustre notamment sous le pinceau de FUJIMORI Shizuo, qui en peint les différentes saisons.
Chapitre 4 : Le Tokyo moderne et ses habitants
Des moga aux salaryman, des premiers grands magasins aux cafés, explorez une ville en pleine effervescence avec ses habitants au mode de vie changeant. On pense notamment à cette estampe d’une jeune femme japonaise, coiffée des très tendances (à l’époque) rajio maki (ラジオ巻き) “rouleaux radiophoniques”, ces chignons en escargot sur les oreilles.
C’est malheureusement à la suite de la Seconde Guerre mondiale que l’industrie de l’estampe s’est arrêtée. Beaucoup d’artistes estimèrent que ce qu’ils souhaitaient représenter avait trop changé. Une des dernières traces du shin hanga est certainement l’estampe de KASAMATSU Shirô, sur laquelle figure la tour de Tôkyô, symbole de la reconstruction du Japon. Nous vous laissons le plaisir de la découvrir sur place !
L’ensemble de l’exposition est tenu par la tension des artistes, partagés entre la nostalgie d’un Japon qui disparaît peu à peu, et l’espoir que suscite la modernité. Le pont Kaiun et la Première banque sous la neige, de KOBAYASHI Kiyochika, est un excellent exemple de cette hésitation esthétique. Cette œuvre expose dans des couleurs plus sobres que l’ukiyoe classique un personnage en habits et parapluie traditionnels se dirigeant vers une banque, qui, pour aussi ancienne et “typique” qu’elle puisse paraître à l’œil contemporain, est à l’époque une innovation architecturale, avec ses cinq étages.
L’exposition regorge de ce type de pépites aussi intéressantes sur le plan esthétique qu’historique, architectural ou culturel.
Ne manquez pas ce Japon loin des clichés, dépeint au plus proche de sa réalité par des artistes qui s’expriment d’une nouvelle façon, inspirés par les changements sociétaux de leur époque !
Informations :
Tôkyô, naissance d’une ville moderne
Du 6 novembre 2024 au 1er février 2025
Prix d’entrée : 5 €, réduit 3 €
101 bis, quai Jacques Chirac 75015 Paris