Trois court-métrages, trois aperçus du quotidien, trois Japon.
Ryūsuke Hamaguchi, gagnant d’ un Oscar à la 94e édition, et du prix de scénario au Festival de Cannes en 2021 pour Drive my car, nous surprend en 2022 (date de sortie en France) avec son nouveau film Contes du hasard et autres fantaisies, qui a gagné le Grand Prix du jury à la Berlinale 2021, et la Montgolfière d’or la même année.
La critique au Japon a accueilli le nouveau film de Hamaguchi avec enthousiasme et les sites de ciné les plus importants lui ont donné une note de 4,2 sur 5 (Filmarks) et 3,5 sur 5 (Eiga no Jikan 映画の時間). Mais de quoi parle-t-il ?
Le film se divise en trois court-métrages qui racontent la vie de huit personnages, qui apparaissent par groupe de trois, dans les deux premiers, et en binôme dans le dernier. Le titre japonais (偶然と想像) se traduit par « Coïncidence et Imagination » et, lors d’une interview dans QUI, plateforme de culture et mode japonaises en ligne, le réalisateur répond ainsi à la question sur le choix du titre :
« Depuis toujours, j’ai été très intéressé par le thème de la coïncidence, et, au départ, le film se focalisait seulement sur cette thématique. Mais, lorsque j’ai écrit les scénarios des trois court-métrages, je n’ai pu m’empêcher d’ajouter le mot « imagination » au sein des trois. Je l’ai trouvé fortement intéressant. Lorsque des coïncidences se produisent, on ne peut s’empêcher de penser : « Et si ça n’était pas arrivé ? ». Par le biais de coïncidences, vous finissez par « imaginer » le monde tel qu’il est aujourd’hui, et le monde tel qu’il aurait pu être. » (traduction de l’article original)
Les trois épisodes s’intitulent : Magie (plus qu’incertain) 魔法(よりもっと不確か), Laissez la porte ouverte 扉は開けたままで, Encore une fois もう一度.
Le premier dépeint un triangle amoureux qui s’est créé par hasard entre deux amies qui travaillent dans la même agence de mode : Meiko – mannequin -, Tsugumi qui travaille au sein de l’équipe de tournage, et Kazuaki, l’ex de Meiko et la nouvelle flamme de Tsugumi. Dans le taxi, cette dernière raconte sa première rencontre avec Kazuaki, et plus elle en parle, plus Meiko comprend que cela n’est pas juste un hasard. Une fois seule, elle ira retrouver Kazuaki à son bureau.
©2021_NEOPA_&_Fictive
Le deuxième tourne toujours autour de l’amour, mais cette fois-ci, le réalisateur le place dans le cadre d’une université et gravite autour d’un amour charnel. La toute première scène voit le professeur de français Segawa, gagnant du célèbre prix littéraire Akutagawa (l’équivalent du prix Goncourt au Japon), et Sasaki, son ancien étudiant qui lui impute la faute de ne plus pouvoir poursuivre le travail de ses rêves, contraint de s’agenouiller devant son professeur. Par la suite, Sasaki, convainc Nao, étudiante de français et son amante, à piéger Segawa avec son propre roman, car il contient une scène de sexe au langage obscène. Cependant, lorsque Nao se rend dans son bureau et lit ce passage, le professeur change d’attitude, et, suite à une maladresse de Sasaki, tout sera chamboulé.
©2021_NEOPA_&_Fictive
Le troisième et dernier court-métrage raconte l’histoire de Natsuko e Aya. 2019, un virus informatique a pour conséquence de divulguer des informations sensibles. Quelque temps après, Natsuko retourne dans sa ville natale à Sendai pour une réunion du lycée et se rend compte que l’absence de communication pendant vingt ans se fait ressentir. Le jour suivant, retournant vers la gare de Sendai, elle rencontre Aya qui descendait l’escalator opposé. Surprise de cette rencontre fortuite, Natsuko se retourne, et Aya l’imite. Cette dernière l’invite chez elle pour boire un thé en attendant le train. Mais, une fois arrivé chez elle, en parlant, elles se rendent compte qu’elles se sont trompés de personne. Malgré cela, grâce à un dialogue profond, Natsuko se relâche d’un poids qu’elle avait depuis des années et Aya retrouve « Nozomi » (en français : l’espoir).
©2021_NEOPA_&_Fictive
Si l’on est un peu accoutumé à la filmographie japonaise ou de façon plus générale, à la culture japonaise, ce film pourrait frapper. Hamaguchi présente des aspects du Japon qui sont souvent masqués. Dans le premier court-métrage, il exhibe le discours amoureux entre deux personnes, Mieko et Kazuaki. Cet échange direct ne serait pas si évident au sein de la société nippone, notamment sur le grand écran. Dans le second, la critique de la société japonaise se fait entendre de la bouche du professeur de français. Par exemple, lorsqu’il fait des louanges à Sasaki, cette dernière ne s’attendait pas à des appréciations, étant donné son statut social. Enfin, dans le dernier, il aborde le traitement de l’amour entre deux femmes, en usant de délicatesse dans le choix des mots. Cette façon d’écrire touche au cœur du spectateur, car il parvient à transmettre la pureté de cet amour.
Hamaguchi, défierait-il les canons de la société nippone ? Ou bien même de la société tout court ? Nous n’avons pas la réponse, mais peut-être que le professeur apporte un début d’idée lorsqu’il dit à Sasaki :
« Refusez de vous faire évaluer par la société ».
Alors, aimez avec douceur, écoutez les silences des autres et lorsque les coïncidences vous prennent au dépourvu, laissez-vous emporter par ce qui sera et ce qui aurait pu être, sans rancœurs. Hamaguchi tente de sonder par des simples hasards, l’imagination de l’esprit humain.
Par Paolo Falcone