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« Possédant une connaissance aboutie de l’histoire de l’architecture et de sa théorie, adoptant des postures d’avant-garde, il ne s’est jamais simplement contenté de répliquer des projets existants, mais plutôt de les challenger. »
C’est ainsi que le jury du prix Pfizer a décrit celui qu’il allait récompenser de l’équivalent du Nobel de l’architecture, la plus haute distinction en ce domaine. Mais qui est Arata Isozaki ?
Né à Oita, au sud du Japon, en 1931, Arata Isozaki a commencé ses études d’architecture en 1953. Il termine ses études en 1961 et poursuit sa formation jusqu’en 1963 dans l’agence de Kenzo Tange, architecte de renom, ayant notamment construit le parc de la Paix et le musée de la bombe atomique à Hiroshima. Justement cet événement survenu à ses douze ans a marqué l’architecte qui explique : « lorsque je me suis trouvé en âge de commencer à comprendre le monde, ma terre natale a été dévastée. De l’autre côté de la cote, la bombe atomique a été lâchée sur Hiroshima, j’ai donc grandi sur « ground zero ». Tout était en ruines, il n’y avait plus d’architecture, plus de bâtiments et plus même de ville. Ma première expérience de l’architecture a ainsi été l’absence d’architecture. »
Dès 1963, Arata Isozaki fonde sa propre agence dont le siège se trouve à Tokyo. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des premiers architectes japonais à s’être tourné vers l’Occident, à travers des voyages d’études s’intéressant notamment à Claude-Nicolas Ledoux, urbaniste français et Karl Friedrich Schinkel, peintre et architecte prussien.
Pour Stephen Breyer, président du jury du prix Pritzker, « Isozaki a été pionnier dans sa compréhension du fait que l’architecture est à la fois mondiale et locale, que ces deux forces font partie d’un même défi ». Il s’est d’abord intéressé à la géométrie et au design japonais pur et minimaliste, goût qu’il a toujours conservé d’ailleurs. Figure du Métabolisme, il suit ensuite un style maniériste postmoderne avec notamment, comme le club-house du golf d’Ōita, sa ville natale, et le musée d’Art de Gunma, où l’architecture a repris toute sa place. Puis des courants artistiques issus de l’art moderne vont l’influencer à travers son mariage avec sa troisième épouse et ses rencontres avec des artistes. Son jeu autour de la lumière en est l’élément le plus visible dans ses travaux tout comme sa manière de jouer avec les formes géométriques.
Parmi les dates marquantes de sa carrière, nous retiendrons sa présence en tant que juré lors du Peak International Architectural Competition en 1983, lors de l’Architectural Competition for The New National Theater of Japan en 1986 ou encore en 1996 comme commissaire du Pavillon japonais à la Biennale de Venise. Récompensé de nombreux prix, prix annuel de l’Institut d’architecture du Japon pour la préfecture d’Ita (1967), ainsi que pour la bibliothèque et le Musée d’art moderne de Gunma (1975) ; officier de l’ordre des Arts et des Lettres en France (1997) ; Médaille d’or RIBA pour l’architecture, au Royaume-Uni (1986) ; prix d’excellence Lorenzo il Magnifico à la Biennale de Florence (2017), Arata Isozaki a été membre du premier jury du Pritzker Prize en 1979, puis pendant cinq années supplémentaires.
Ses œuvres
« Mon plaisir est de créer des choses différentes, pas de répéter la même chose » est le plus juste résumé des œuvres d’Arata Isozaki. Effectivement, l’architecte japonais s’est inspiré de nombreux courants et a construit des bâtiments aux destinations bien différentes. Parmi ceux-ci
des salles de concert, des musées et même un tombeau à Venise !
« Afin de trouver le moyen le plus approprié de résoudre ces problèmes, je ne pouvais pas m’attarder à un seul style, précise l’architecte. Pour moi, le changement est devenu constant. Paradoxalement, c’est devenu mon propre style. » Ayant parcouru le monde une dizaine de fois avant l’âge de 30 ans, il explique : « Je voulais ressentir la vie des gens en différents lieux. À l’intérieur du Japon, mais aussi dans le monde islamique, dans des villages de haute montagne en Chine, de l’Asie du Sud-Est et des grandes villes des États-Unis. Toutes les occasions étaient bonnes et, à travers cela, je n’avais qu’une seule question : qu’est-ce que l’architecture ? »
Ainsi, on peut admirer ses œuvres aux quatre coins du globe, mais malheureusement pas en France. En Allemagne, on peut admirer le bâtiment de la Berliner Volksbank sur la Potsdamer Platz à Berlin. À Columbus, le Musée des sciences et de l’industrie (COSI) puis le Musée d’art contemporain (MOCA) de Los Angeles lui confèrent sa renommée internationale. Au Japon, son pays natal, il a dessiné la Tour de l’art à Mita, la salle de concert de Kyoto ou encore la bibliothèque préfectorale d’Oita, sa ville d’origine. Arata Isozaki a également conçu le tombeau du compositeur italien Luigi Nono dans le cimetière de l’île de San Michele à Venise !
Pour le projet milanais CityLifeet la tour Allianz, dessiné en collaboration avec Maffei, l’un de ses récents projets, Arata Isozaki a souhaité réinterpréter la typologie du gratte-ciel qui, dans ce cas, n’a pas été conçu de façon classique avec ses éléments de services au centre (ascenseurs, gaines techniques et escaliers de secours) et bureaux autour mais avec une distribution bien différente. Un immense open space occupe le centre du bâtiment et les ascenseurs panoramiques sont concentrés aux deux extrémités. Cette distribution a permis d’améliorer les bureaux en les transformant en un grand espace unique dans lequel les occupants peuvent facilement organiser leur propre bureau. La liberté et la flexibilité d’utilisation sont les principes les plus essentiels du projet.
Photo prise en décembre 2015. © Heracles Kritikos – Shutterstock.com
Puis, la verticalité a été développée quasi à l’infini puisque la tour ne se termine pas par un « couvercle » classique mais « par une série de modules de composition clairs et différenciés qui se superposent verticalement de manière constante et en théorie à l’infini, comme une sorte de tour sans fin ». La façade légèrement courbe se compose de modules de six étages avec également un jeu autour de la lumière et des reflets. C’est un vrai langage qui s’instaure avec lequel l’architecte raconte le concept qu’il veut exprimer. Il joue aussi avec les couleurs en distinguant les étages des bureaux et les niveaux techniques, l’un au milieu du bâtiment et l’autre au sommet, qui ont une façade différente, qui reprend celle du hall d’entrée. Ont aussi été prévus, à l’extérieur, quatre arbalétriers en acier qui renforcent le bâtiment à sa base, en permettant ainsi de réduire les épaisseurs des murs et de réduire la largeur totale de l’immeuble.
C’est le Futurisme ayant caractérisé Milan dans les années 1930 qui a inspiré Arata Isozaki avec la mise à nu des aspects mécaniques, un hommage à la ville et à son passé. Un « immeuble machine dans lequel les mouvements verticaux des personnes sont visibles et dans lequel le mécanisme structurel révèle ses engrenages. »
© Marco Rubino – Shutterstock.com
Le prix Pritzker
Le prix Pritzker, équivalent du Nobel d’architecture, vise à récompenser le travail d’un architecte vivant, qui aurait à travers ses réalisations et projets fait preuve d’« une vision et d’un engagement cohérent contribuant au bien de l’humanité à travers l’art de l’architecture » selon les membres du jury. Organisé depuis 1979, créé, par la Fondation Hyatt à Chicago, le jury du prix Pritzker comporte la particularité de compter parmi ses rangs, à la fois des architectes, Richard Rogers – lauréat du Pritzker en 2007 -, Kazuyo Sejima – lauréate du Pritzker en 2010 -, Wang Shu – lauréat du Pritzker 2012 – et à la fois plusieurs chefs d’entreprise, personnalités politiques et issues du monde juridique.
© Restuccia Giancarlo – Shutterstock.com
Le jury a ainsi récompensé sa connaissance approfondie de l’histoire et de la théorie architecturale tout comme son approche avant-gardiste. Le prix lui sera remis au mois de mai 2019 lors d’une cérémonie organisée à Paris, dont la date précise n’a pas été communiquée.
« Il faut voir dans les projets actuels d’Isozaki le résultat de la synthèse de quarante ans de création : depuis les œuvres pittoresques japonaises à l’influence occidentale. »
Par Carole Martinato