Le nouveau livre de Coralie Akiyama sonde plusieurs niveaux de relations amoureuses.
Solène et Clément débarquent au Japon pour leur année d’études, accompagnés par Noboru. Dès leurs premiers pas sur le sol japonais, ils fantasment une nouvelle vie. Solène veut apprendre tous les mots de cette langue qui la charme et Clément veut absolument capturer le cliché photographique qui renferme l’esprit de l’archipel. Noboru, de son coté, ne comprend pas cette envie bouleversante de découverte. Il les écoute, imperturbable mais perplexe.
Coralie Akiyama parvient habilement à évoquer le quotidien des personnages dans ce pays. D’un côté, nous avons les personnages français et internationaux qui sont euphoriques d’avoir enfin atteint cette terre si lointaine et pleine de charme à leurs yeux. De l’autre, nous avons les vies quotidiennes de Noboru, Mihiro et Sanaé. Ces deux dernières travaillent dans une black company : une entreprise qui traite ses employés comme des vauriens, avec des conditions de travail à la limite de l’illégalité et une forte pression pour atteindre des objectifs improbables.
Mihiro rencontre Solène dans des circonstances singulières : elle la percute en chemin, car Solène écrivait un message à l’un de ses innombrables amants, provoquant la chute et la casse du téléphone. Ce type de passage qui illustre l’essence des différences d’échanges entre deux cultures, est l’un des nombreux moments marquants du livre. Tout au long du roman, plusieurs interactions opposent les étudiants en mobilité et leurs contrepartie japonaise. De L’effervescence des débuts, un changement s’opère soudainement au bout de quelques pages : l’apathie et l’indifférence pour ce pays, qui semble inaccessible, prennent le relais. Cependant, ils ne se rendent pas compte que cette inaccessibilité est due à plusieurs raisons : Clément et Solène ne parlent pas bien japonais, ils ne cherchent jamais à approfondir leurs interactions avec la culture. Ils préfèrent rester en surface et, de façon pédante, se plaignent de ne pas avoir obtenu ce à quoi ils s’attendaient.

© Coralie Akiyama – Taro Okamoto
Clément, qui voulait son cliché parfait, se perd dans une multitude de relations amoureuses. Il aborde toujours les femmes avec la même technique, pour ensuite les remplacer comme une paire de chaussettes. Il voudrait trouver sa femme idéale, sans se rendre compte qu’il agit tel un coureur de jupons. Solène fait de même, bien qu’elle adopte une approche un peu plus nuancée. Elle se lasse très vite de ses rencontres, car elle ne cerne pas les intentions des ses amants, et ne voit pas de passion amoureuse telle qu’elle l’entend. Le passage du suki incarne parfaitement cette incompréhension : imbu d’elle-même et d’avoir compris que les choses seront ainsi, elle ne s’efforce plus de comprendre les hommes japonais, créant un très grand malentendu.

© Coralie Akiyama
L’auteure met également en exergue un très grand problème relationnel au Japon à travers le personnage d’Andrew, qui, en quelques pages, dévoile la difficulté d’être marié avec une Japonaise au Japon. Du jour au lendemain, son épouse est partie avec ses enfants, sans jamais revenir. Il n’a aucun recours juridique, car il n’est pas japonais, et le vide juridique permet aux conjoints japonais de décider unilatéralement du sort des enfants.
Ce livre explore plusieurs strates de relations : la relation au Japon, teintée d’un zeste morbide et l’euphorie des premiers mois qui se transforme en déception. Ce pays qui a tant fasciné, devient une terre froide et distante, régie par des codes que les Japonais ne semblent pas vouloir partager. La deuxième dimension est celle des relations humaines. Clément, qui joue la carte du « Français qui ne parle pas japonais », et Solène, dont le seul véritable amour sera un homme d’un host club, sont deux personnages qui ne souhaitent pas vraiment aller au-delà des apparences. Andrew, quant à lui, est brisé, incapable de revoir sa famille éclatée.
Mihiro, impuissante face à un environnement de travail marqué par le harcèlement moral et physique, et Sanaé, qui chérit ses fantasmes d’un mari étranger pour partir en France, sont également pris dans leurs illusions, qui deviendront leurs failles. Comment doit-on se comporter face à l’amour exprimé dans d’autres langues ? Coralie Akiyama évoque ces échanges et nous fait comprendre leur subtilité : parfois même si l’on comprend, nous ne savons toujours pas comment se comporter — et inversement. Ainsi, le long rêve brisé des personnages se brise en mille morceaux, les laissant face à une réalité qui les regarde avec indifférence.

© Coralie Akiyama
INFO :
TITRE : Lèvres bleu ciel
AUTRICE : Coralie Akiyama
EDITION : Vibrations Editions
PARUTION : Avril 2025
PAGES : 137 pp.
Image de couverture ©Vibrations Editions
Par Paolo Falcone