L’Isna Design Studio de Tokyo — fondé par Risako Noguchi et Ichise Taketo — veut tenter de transiter vers une architecture où l’eau, le numérique, la verdure, les matériaux naturels et les minorités dialoguent entre eux.
Dans cette quête de l’autre, ils réfléchissent également à toute la palette de gens qui existe au sein de la société — les personnes âgées, celles à mobilité réduite, ou bien appartenant à la communauté LGBTQA+. Leur volonté est de bâtir un dialogue vertical — entre les minorités et ce qu’on considère la norme — et un dialogue horizontal — où homme, nature et architecture cohabitent en harmonie. Leur idéal est une ville positive, qui prendrait en compte ces quatre éléments.
Nous n’avons pas pu interviewer directement les deux fondateurs. Cependant, les mots de Manon Besse Des Larzes, commissaire de l’exposition, nous ont bercé dans un après-midi ensoleillé, lorsqu’elle nous guide dans cette promenade architecturale, où la nature et l’homme tente trouver un équilibre.

Interview :
Qu’est-ce que la Galerie Perspective représente ?
La galerie est née à l’initiative de Véronique Eloy qui est la directrice de la société Perspective, des ateliers et de la galerie. Elle est « fille de la pandémie », un moment historique où nous avons eu l’occasion de pouvoir réfléchir sur le vivre dans la ville, et de pouvoir tisser des liens avec des spécialistes dans ce domaine, comme des architectes et des urbanistes.
Le but premier est de vivre ensemble dans la ville au travers des pratiques de l’architecture. La galerie est aussi à l’activité de la société éponyme qui est spécialiste dans l’aménagement d’espace, l’agencement et le design. Ce n’est pas donc pas un hasard que nous nous intéressions à ces sujets et problématiques, car nous sommes en contact permanent avec les fabricants de la ville. De cet échange, plusieurs questions ont surgi : comment adapter le mieux possible la ville ? Comment mutualiser les espaces ? Comment passer de l’espace privé à l’espace collectif ?
Dans ce sens, la galerie est un lieu dédié à la cité et à l’utopie à travers le filtre des artistes que nous exposons. La ville : entre individualité et collectivité est la troisième exposition. Toujours dans la lignée de nos précédentes expositions, le lieu que nous avons créé nous permet de concilier la ville dans une vision utopique, grâce une communication à la portée de tout le monde.

Donc, si j’ai bien compris, derrière cette galerie, il y a une volonté de vouloir saisir la ville du futur qui s’inscrit dans une nouvelle société ?
Exactement. Par exemple, dans cette exposition, le but est de savoir comment bien vivre dans la ville de demain. Derrière, il y a la tentative de réaliser une ville toujours plus humaine, qui mutualise les espaces, qui respectent les gens qui y vivent, et de se rapprocher de la nature et des choses qui vont être importantes pour la ville de demain, tels que notamment les outils numériques.
Depuis combien de temps faites-vous partie de cette équipe, et avec quel but ?
J’en fais partie depuis novembre dernier, aussi bien pour la galerie que la société. Cette dernière est tentaculaire, car elle a trois antennes sur le territoire français : Bordeaux, Limoges et Paris. J’ai été embauché en tant que responsable de communication à Paris. Mes missions concernent la création de contacts, l’apport de la notoriété et ainsi de suite. Pour cette exposition, j’ai pu prendre la casquette de commissaire d’exposition. Nous connaissions déjà l’artiste, et j’ai pu, accompagnée par les artistes et architectes du studio Isna Design, composer et créer les textes qui accompagnent le fil de l’exposition pour véhiculer au mieux le message transmis au travers de ces travaux.

D’où vient l’idée de vouloir valoriser et parler de ISNA Design Studio ?
Ils ont déjà participé à la première exposition de notre galerie intitulée La Cité : les utopies urbaines contemporaines en 2020. Pour cette exposition, nous avions un collectif d’environ quinze artistes, dont plusieurs architectes. Tout de suite, nous avons apprécié leur travail minutieux et précis. Nous avons une grosse projection dans une ville humanisée qui partage les espaces publics et privés. Cette vision duelle est notamment présente au Japon, où il y a beaucoup bâtiments collectifs. Le studio Isna Design cherche à faire en sorte que l’individu se sente bien dans une réalité collective. Ils tiennent beaucoup de représenter tout le monde, comme les personnes à la mobilité réduite et la communauté LGBTQA+.
Ainsi, il paraît que ISNA Design Studio veuille transmettre un message d’inclusion. C’est pour cette raison que vous vous êtes intéressés à leurs projets ?
Disons que cette idée d’inclusion se forge dans le rêve d’une cité idéale et parfaite. Nous aimons beaucoup ce ralliement, car il y a des architectes et des illustrateurs. Leurs projets livrent les deux. Ce côté qui pourrait sembler un peu « insouciant » de leurs dessins qui pourraient faire penser à des illustrations destinées aux enfants, malgré le fait que chaque dessin ait un thème important.
Nous allons, à présent, voir des exemples de projets que le studio Isna Design a exposé au sein de la Galerie Perspective. La lumière de 15 h filtrait dans les feuilles de peupliers qui faisaient face à la Galerie, où les boiseries dégageaient une chaleur familière. Avant de nous plonger dans les plans du ISNA Design Studio, gardez en tête deux informations qui vous aideront dans la compréhension de leurs projets :
- Au Japon, la règlementation de l’immobilier est différente. L’espérance de vie des bâtiments tourne autour de 20-25 ans. Ce qui permet la rénovation constante et le jaillissement de nouvelles idées. Mais, comme les deux chefs du studio Isna Design ont dit : « les mauvaises perspectives économiques, l’augmentation du coût des matériaux, et les nombreux problèmes liés au nombre croissant de logements vacants rendent difficile l’accueil d’une nouvelle architecture expérimentale ».
- Le studio Isna Design imagine la ville comme une « ville inclusive » : où la nature — les points d’eau et les espaces verts —, les minorités et les matériaux naturels cohabitent dans cette cité idéale.

L’image sur la droite concerne une vision d’un futur proche. Réalisé en 2019, il représenterait la ville de 2025. L’eau et le vert sont présents avec le numérique grâce aux grands écrans, aux hologrammes, etc. Pour eux, il fait partie du futur idéal. L’image sur la gauche rassemble un seul projet sur trois plans :

En premier, nous avons « l’arbre » de face. Nous avons des matériaux tangibles : les logements sont construits entièrement en bois. Le point d’eau et le végétal — les arbres, les montagnes — et le numérique, représenté par la couleur bleue.
Le logement est équipé par du numérique, qui nous fait reconnecter à la nature. Par exemple, s’il y a du vent dehors, le numérique mettra le son du vent à l’intérieur. S’il pleut, nous allons sentir les gouttes dans les bâtiments, et en cas de fortes chaleurs, l’ambiance deviendra plus lourde. Reprenant les mots dans l’interview avec la Galerie, les deux fondateurs nous disent ainsi : « nous dessinons le monde numérique en différentes couleurs par-dessus le monde réel ».
Le dernier plan avec les montagnes au fond. Trois éléments : numériques, nature, et minorité.
Cette reconnexion dont ils parlent ne serait-elle pas de véhiculer une « fausse nature » ?
Il y a de ça aussi. Tout d’abord, ils pensent revenir aux bases. Personnellement, ça peut être paradoxal de lier nature et numérique de cette façon-là. Ils y croient vraiment et si vous y pensez vous-mêmes, les jardins japonais suivent le même procédé. Tout est étudié au détail pour que la nature du jardin reproduise la nature sauvage, mais en même temps, ils ont analysé comment observer chaque « vue de paysage » de chaque angle, au sein du jardin. Mais je ne saurais pas vous dire avec certitude qu’on peut parler de « fausse nature », car du point de vue japonais, il se retranscrit dans leur vision des choses.
Pour terminer la courte exposition, Madame Besse Des Larzes m’a montré le projet du Bloc de vie bougeante, et deux projets qui ont été mis en place, au sein de deux communautés.

Les cloisons, les fenêtres… chaque pièce est modifiable. Tout bouge. Dans le collectif, ils ont créé une intimité pour chaque personne qui y habite. Cela est une représentation significative qui incarne leurs méthodes pour créer ces projets.
Pour eux, c’est ce qui représente au mieux l’individu dans le collectif. Comment la sphère individuelle ne va pas être éliminée au profit de la collectivité. En Occident, le logement est une affaire intime, alors qu’au Japon nous avons une réalité beaucoup plus collective. ISNA Design Studio tente de rendre plus flou les contours de ces deux façons de penser. Projet de Kobe :
Pour améliorer la vie des communautés de la ville. À la fois, ça permet de réduire la vitesse de la conduite en voiture, et en plus, ils ont créé plein de lieux de rencontres pour les habitants. Ils ont retourné certains éléments, ce qui fait que les gens ne font pas forcément face à la route, mais face aux autres. Cela créerait des échanges, et donc une consolidation de la communauté. Nous retrouvons l’aspect de propreté de la ville, de regroupement de la communauté de la ville de Kobe, au sein d’une nouvelle communauté de cette nouvelle rue, et le côté prudent, car la route est adaptée à ça. Projet de Makuwari :
C’est une région pas très loin de Tokyo. Ce quartier qui a été réalisé de manière à favoriser les relations au sein de la communauté locale. Makuwari est une petite région, et ce projet se trouve dans une petite ville. Il implique les villageois dans les activités de cette nouvelle communauté : les cafés, les bureaux, des endroits pour faire du sport. C’est une petite ville dans une petite ville. Vous pouvez le penser comme une mise en abyme. Pour le studio, cela est un exemple de ville positive, avec une petite communauté à son intérieur, plongé dans la nature. Il faut que ça donne envie de rester là.
Ainsi, à travers cette promenade dans la ville positive du futur, nous voyons l’importance de l’un des concepts qui est à la base de la pensée japonaise qui se traduit en français par « dedans dehors ». Dans l’après-guerre, les logements LDK (Living, Dingin, Kitchen) ont été la prédilection des architectes. Mais aujourd’hui, ISNA Design Studio tente de retrouver un équilibre entre l’individualité dans la collectivité, et la collectivité dans l’individualité. Ainsi, l’individu pourra bourgeonner avec la communauté et sans les contraintes qu’elle lui pose.
Paolo Falcone